Crise de l’autorité, de la justice, le choix alternatif de la MEDIATION

1. La crise de l’autorité ou l’affaiblissement du droit positif, le renouveau du droit idéal ou idéalisé.

Le droit moderne se caractérise par la hiérarchie entre la norme subalterne et la norme supérieure, la première devant être compatible avec la seconde, que cela soit en droit national ou en droit international.

Le pouvoir n’est plus unique (ou religieux, en ce sens qu’il était révélé), mais ressemble de plus en plus à une poupée russe. A chaque abandon progressif de compétence et de souveraineté de l’Etat au profit d’autres structures souveraines, correspond une des poupées de tailles décroissantes placées les unes à l’intérieur des autres. Il n’est plus sûr que l’une s’emboite harmonieusement dans l’autre.

La complexité du modèle global, le rend souvent illisible et incompréhensible et les souverainetés à force de se confronter, collapsent. (L’acte des exécutifs peut ne pas être conforme à la loi. La loi peut ne pas être conforme à la constitution ou aux engagements internationaux de l’Etat belge. La loi nationale peut ne pas être conforme au droit européen. La loi nationale peut ne pas être conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme. La loi européenne peut ne pas être conforme à d’autres instruments internationaux. )

La lutte de compétence entre les niveaux de pouvoirs et les souverainetés est permanente, qu’elle soit nationale ou supranationale et entre les entités d’un même Etat. (La stratification en mille-feuilles de notre Etat en témoigne).

L’absence de cohérence entre les niveaux normatifs qui s’affrontent est source de désarroi pour le justiciable et affecte sa relation de confiance avec le rôle et la compétence du droit traditionnel. Traditionnellement, le droit était en effet un apporteur de sécurité, de protection juridique et l’apporteur d’une solution prévisible (sécurisée) d’un conflit.

La concurrence entre les juridictions suprêmes ajoute encore à la confusion, la solution de l’une ayant son contraire chez l’autre (Cour de cassation versus Cour constitutionnelle : les exemples foisonnent).

A l’instabilité de l’autorité correspond donc une instabilité et une complexification de la norme juridique qu’elle produit et une maximalisation de l’aléa judiciaire. Il s’ensuit une insécurité juridique quasi chronique. Le droit positif perd peu à peu, dans la confusion et le désarroi du justiciable, son rôle de régulation protectrice de la société.

Cette dévaluation de l’omniscience de l’autorité est aussi la conséquence du pouvoir donné aux intérêts individuels de demander à un juge de renverser la volonté décrétée par la majorité politique qui a le monopole de la définition de l’intérêt général. La République des juges, alors saisie par ces intérêts, contredira la volonté des parlements. L’individualisme devient l’égal d’un parlement.

Nous vivons le paradoxe que la norme juridique perd son efficacité première qui est celle de régler un conflit et qu’elle devient elle-même LE conflit.

C’est un fait, l’autorité pouvait dans le passé se faire respecter parce qu’elle était l’autorité souveraine indiscutable et discrétionnaire – « je suis donc je décide, je décide donc je suis ».

Mais elle se trouve maintenant confrontée à une nécessité permanente de justifier sa compétence et la légitimité de sa décision non seulement par rapport à l’intérêt général mais le plus souvent par rapport à des intérêts corporatistes ou individuels. L’affaiblissement de la notion intérêt général va de pair avec l’émergence triomphante de cet individualisme.

La société quémande sa sécurité face à une autorité affaiblie, dispersée et multiple, dans un climat de pessimisme et de remise en cause permanente des compétences des élites, de cette même autorité, ce qui est peu propice à la cohérence du corps social et à définition d’un meilleur avenir.

2. La justice dépassée dans sa fonction originaire perd son caractère légitime.

L’exercice de la justice est depuis la nuit des temps une fonction régalienne. Elle est par essence l’expression de l’autorité ou du pouvoir suprême, c’est-à-dire le seul à user de la violence légitime ou légale, de la violence par lui confisquée, dont la finalité était la protection de ses sujets, qui consentaient ainsi à l’autorité du Prince.

Ayant pu neutraliser la violence privée ou tribale comme mode de règlement des conflits, ayant dépassé le stade du jugement de Dieu (les deux adversaires pour un litige se battaient à mort, et celui qui survivait avait juridiquement raison, puisque Dieu en avait décidé ainsi…), la justice étatique ou régalienne a néanmoins conservé dans son décor sémantique le style et la scénographie de la violence guerrière.

«Tout condamné à mort aura la tête tranchée» disait le Code pénal, et c’est bien au pouvoir judiciaire que, par une identité de mots voulue, on demande « de trancher » un litige d’ordre familial, civil ou commercial. Le Juge civil « condamnera » le défendeur au même titre que le juge pénal « condamnera » le criminel.

Le jugement fera l’objet d’un « commandement » de la part d’un huissier de justice avant que celui-ci ne passe à « l’exécution », comme le ferait le peloton du même nom.

La justice doit faire mal quelque part, même au civil, et malheur aux vaincus. La justice régalienne, logiciel de la civilisation de la violence, oui, mais c’est encore de la violence qui est faite aux individus.

Alors que l’empire médiatique, la société spectacle, la médiacratie nous abreuvent au quotidien d’images de violence que nous consommons pour nous divertir (l’information est devenue aussi un spectacle, du pain et des jeux), nous (les individus) sommes devenus de plus en plus physiquement intolérants aux actes de violence (de toute nature ou de toute importance) lorsque ceux-ci nous concernent directement ou indirectement par un processus d’identification à la victime.

La sécurité identifiée à la notion de justice, cet intense besoin d’être protégé sous toutes ses formes (sécurité physique, financière, sociale, d’emploi, écologique voire sentimentale etc..), est devenue un « bien public » (c’est le terme employé par la Commission Européenne pour parler de justice), un bien individuel susceptible d’appropriation et de consommation rapide, où le dommage s’identifie au contenu de nos sentiments ou émotions en manque de sécurité.

Ainsi il n’y a plus de « grand malheur » sans nécessairement qu’il n’y ait une responsabilité diffuse quelque part, c’est-à-dire un débiteur disponible et préposé à la sanction. La fatalité ou la faiblesse humaine ne résiste plus à la pression absolutiste de la victime en son statut privilégié qui ne peut plus imaginer qu’il n’y ait point satisfaction de son dommage narcissique placé en position haute ou dominante, sans un dysfonctionnement et un responsable expiateur d’une faute.

Cette conception idéalisée de la société parfaite (le principe de précaution) fragilise à nouveau l’autorité publique à qui l’on fait reproche non plus de sanctionner, bien ou mal, l’auteur d’un acte répréhensible, mais essentiellement de n’avoir pu, par sa propre faute, prévoir, anticiper et éviter que cet auteur commette cet acte répréhensible.

La crise de légitimité de la justice s’inscrit dans ce contexte. L’attente forte ou disproportionnée du justiciable vis-à-vis du pouvoir judiciaire n’est plus rencontrée. Le justiciable insécurisé exige que la justice satisfasse ses besoins individuels à la mesure du préjudice dont il s’estime victime, auquel participent ses émotions dont le corps social se fait l’écho.

Le justiciable déresponsabilisé par ce surcroit d’attente de protection, dans une posture de client exigeant, n’est que déçu d’avoir devant lui un juge, son fournisseur, à ce point rigide et manquant si cruellement de compétence et de créativité, un juge idéalisé que la victime n’imagine même plus qu’il fût bridé par la contrainte de la norme, mais uniquement soucieux de la reconnaissance égoïste de ses intérêts et de son bien-être. Cette contrainte de l’Etat de droit est perçue comme négligeable et subalterne n’est plus accessible à sa compréhension et à sa tolérance, alors que lui vit dans une société de la satisfaction immédiate (sans avenir ni prospective) de ses besoins et désirs, contrepoint du pessimisme ambiant.

Combien de fois entend-t-on une victime insatisfaite par la décision judiciaire ou la tenue du procès, lequel ne lui a pas permis de « faire son deuil » ou « comprendre ce qui s’est passé » tout en étant que la justice distributive ou réparatrice n’a jamais eu cette fonction, ni cette prétention.

La partie qui gagne son procès techniquement, reste dans l’insatisfaction de son besoin réel de reconnaissance et de protection. C’est une interaction perdant-perdant entre un créancier et un débiteur de justice, dans une relation circulaire client-fournisseur.

3. La mutation plurielle et permanente du rôle de l’avocat.

C’est dans ce contexte d’insécurité juridique permanente, de remise en cause de l’autorité, et d’intolérance à l’insécurité, de victimisation du justiciable déresponsabilisé que se meut le praticien du droit, et en particulier l’avocat du 21ème siècle.

Pour devenir avocat, le juriste doit faire sa mue ou mutation dans une quête de valeurs et d’éthique (la déontologie) – et ce n’est pas une anecdote mais c’est la parfaite illustration de cette transformation– il doit prêter un serment où il énonce cette phrase, aux origines religieuses : « Je jure de ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirais pas juste en mon âme et conscience. ».

Quelle autre profession doit puiser dans les ressources et les tréfonds de l’âme et de la conscience pour se déterminer dans son action professionnelle ? L’avocat, à tout le moins dans sa fonction judiciaire (l’avocat des pauvres tel qu’on l’appelle en Espagne) a pour matière première l’être humain.

Etymologiquement, être avocat, Ad vocatus, c’est être celui qu’on appelle au secours, celui dont la mission première est de conserver la dignité de celui ou celle qui appelle au secours. L’exercice rigoureux de cette profession emporte donc ontologiquement une empathie, une bienveillance, sinon une tolérance compréhensive à l’égard de l’être humain et de ses nombreux comportements, indépendamment du territoire et du périmètre du règlement du conflit, le judiciaire ou l’alternatif.

Enfin, il est à noter, et c’est une caractéristique de la profession, que l’avocat n’en a jamais fini avec la formation permanente, compte tenu de ses exigences déontologiques d’une part et d’autre part, compte tenu du bouleversement constant de la matière juridique, des procédures, des attentes du client et de l’évolution de la perception du conflit et de sa solution.

L’avocat chemine donc vers la médiation, comme il franchit une étape professionnelle, l’une après l’autre, pas l’une sans l’autre, en les cumulant sans en abandonner aucune.

4. La médiation : contrepied, mouvement extra-institutionnel ?

C’est donc peu dire que la défiance à l’égard des institutions est forte. C’est un fait, indépendamment d’un jugement de valeur à l’égard d’une critique simple ou simpliste dirigée contre un système de plus en plus complexe ou devenu incompréhensible, et indépendamment encore d’un jugement de valeur à l’égard des hommes et des femmes qui osent encore se dévouer et s’exposer pour le bien collectif.

Il y a un besoin à combler. La médiation y parvient avec le concours de la bienveillance et de l’intelligence.

Ce qui frappe dans l’acronyme MARC, c’est le « A » de alternatif. « A » aussi comme ambition de faire mieux ou différemment que le modèle traditionnel de la justice qui est à bout de souffle, désargenté, éclaté, dépassé, hors du temps, décrédibilisé.

Ce contrepied du système, l’extra-institutionnel, le « A » saute aux yeux à l’analyse des fondamentaux de la médiation.

La médiation est un contrat onéreux (consacré dans un protocole) dont la rupture peut être unilatérale et non-motivée et n’emporter aucune sanction.

L’expression du volontarisme est absolu. Les parties en litige deviennent les « partenaires de leur mésentente ».

Entrer en médiation est déjà un (pré)geste de bienveillance ou d’empathie à l’égard du « partenaire de la mésentente », ce geste, fut-il infime, est déjà de nature pacifique.

C’est un abandon du statut de guerrier dans l’arène judiciaire, c’est une mise à distance de la violence légale comme solution imposée, partant c’est un acte de licenciement sans préavis du pouvoir ou de l’autorité à qui on signifie que son action n’est plus utile à l’entreprise de la solution. La médiation neutralise le temps de son cours la violence légale ou légitime.

La réappropriation, le reconquête du conflit par les « partenaires  de cette mésentente » et l’expropriation du juge, c’est le renversement du logiciel du justiciable déresponsabilisé.

Les « partenaires de la mésentente » cassent ainsi tous les codes du justiciable passif, simple consommateur du bien public. Ils sont tenus d’être actifs dans la fabrication de leur solution. Cette collaboration des « partenaires de la mésentente » donne sa chance à la compréhension réciproque, et remet de la communication au centre du conflit.

On met au parking cette passivité oiseuse du client où l’on se repose sur un tiers fournisseur chargé de prendre une bonne ou mauvaise décision à votre place. Dans le cadre de la médiation : on travaille. Le consommateur devient un producteur. Il cumule le statut de client et celui de fournisseur.

« Les problèmes sont des opportunités en vêtements de travail » selon l’industriel américain Henry H. KAISER. Le fait que les personnes à l’origine du conflit doivent se fatiguer, sacrifier du temps et de l’énergie, pour trouver une solution à celui-ci, et non épuiser leurs conseils et leur juge, est une révolution copernicienne.

Si l’émotion sous-jacente est centrale dans la médiation, c’est pour mieux éloigner les personnes du conflit et les placer dans la ligne d’horizon de l’avenir par un processus de créativité qui tient compte des besoins des « partenaires de la mésentente ».

La solution n’étant pas imposée mais résultant d’un accord, le justiciable n’est plus dans la posture de l’incompréhension paniquée de ce qui se passe et de ce qui lui arrive, mais dans celle de la création, sa création. Dans le processus de médiation, la figure de la victime, version doloriste du privilège, n’a pas cours. A bien y penser, elle est incongrue.

Dans les limites de l’ordre public, le droit, la jurisprudence ne sont qu’un garde-frontière. La liberté, la créativité, la volonté des parties l’emportent sur le contrat judiciaire. Au parking aussi le juge bridé, rigide et dépourvu de créativité.

Il n’existe pas de droit idéal en médiation, mais un simple acte de volonté pour un accord mettant un terme au conflit passé, accord qui n’a pas vocation d’être idéal, mais bien celui de forcer l’avenir de la relation ou de la communication entre les parties.

Dès lors que rien n’est imposé, l’acte de volonté, ontologique à la médiation, s’oppose à l’aléa de justice, à l’insécurité juridique et à l’imprévisibilité de la solution imposée.

Le quémandeur de protection quitte sa posture de créancier, il prend son autonomie par rapport à l’autorité, il devient sa propre autorité, il concrétise sa volition. Il est propriétaire des codes-sources de sa solution. Au parking aussi le pessimiste qui ne croit pas en l’avenir et qui est toujours déçu par l’institution.

Il faut d’une part être attentif au casting quasi-élitiste de la médiation. Elle ne convient pas à tout le monde, et celui qui ne peut sortir du cul-de-sac de la querelle doit conserver son droit d’accès à la justice traditionnelle.

La démarche initiale de s’inscrire dans un processus de médiation demande déjà à la personne en conflit un premier travail sur soi qui exclut l’instrumentalisation et la mécanisation du conflit aux seules fins de vengeance, pour le mal qui peut être causé à l’adversaire, sans souci de mettre un terme au conflit qui doit perdurer, pour que la blessure du conflit soit faite à l’adversaire, pour l’odeur du sang.

Enfin d’autre part soyons attentif au fait que l’autorité, toute affaiblie qu’elle fut, garde un œil sur le processus de la médiation dont elle entend encadrer le début et la fin (exception faite de médiations dites libres) comme on regarde le lait sur le feu.

Il faut être vigilant : la médiation pourrait être un outil de démantèlement de la justice régalienne, ne fut-ce que par obsession budgétaire. Le « pot-pourri » peut avoir aussi des odeurs de décomposition de l’ordre judiciaire et des droits de la défense, par une nouvelle réduction de l’accès à la justice inscrit à l’article 23 de la Constitution.

Et puis il y a la statue du médiateur, personnage nouveau, dont l’ombre tutélaire rassure, qui est fascinant par son immobilité active, par sa transparence émotionnelle garant de sa neutralité, qui s’impose sans rien imposer, qui est le gardien du cadre comme on aurait dit le gardien du temple, qui, en tant que technicien de la communication est aux aguets de tout sans rien laisser paraître, à l’affut de la clé qui ouvre le conflit vers l’avenir, qui ne juge rien, qui ne propose rien, qui est un ouvreur d’espace, un facilitateur de liberté de parole et d’avenir, un écouteur de message, un décrypteur des codes de l’expression : un optimiste  qui nous amène à quitter le bagne du pessimisme dans lequel baigne notre temps.

André RENETTE

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